Et si l’avenir du travail passait par une fusion radicale entre humains et systèmes ?
Il y a des décisions qui ne passent pas inaperçues. Début mai, The Wall Street Journal révélait que Moderna, fleuron biopharmaceutique mondialement connu pour ses vaccins à ARN messager, avait choisi de fusionner ses départements RH et IT.
Objectif affiché : décloisonner les fonctions clés pour accélérer l’intégration de l’intelligence artificielle dans l’ensemble de ses processus internes. Mais ce qui frappe davantage que l’organigramme, c’est le choix de la personne nommée pour piloter cette nouvelle entité : Tracey Franklin, actuelle DRH du groupe, promue au poste tout juste créé de Chief People and Digital Technology Officer.
Dans une entreprise de 5 200 salariés, le message est clair. Il ne s’agit pas d’un jeu de chaises musicales, mais d’un repositionnement stratégique profond : faire de la fonction RH un moteur de transformation digitale. Moderna acte ainsi une conviction encore peu partagée dans les grandes organisations : demain, l’avantage concurrentiel viendra de la capacité à articuler l’humain et la technologie, non pas côte à côte, mais de manière intrinsèquement liée.
“Nous vivons notre moment ChatGPT”, résume Stéphane Bancel, PDG de Moderna, dans l’article du WSJ. Une façon de dire que l’IA, après avoir été un sujet d’innovation lointain, devient une urgence opérationnelle. Face à cette bascule, l’entreprise a tranché : près de 50 postes ont été supprimés, la direction IT a été restructurée, et les budgets numériques doublés pour accélérer le déploiement d’outils comme Microsoft Copilot ou Workday Extend. L’objectif n’est pas la réduction de coûts, mais une refonte en profondeur des processus de travail, à commencer par ceux qui concernent l’expérience collaborateur.
Ce que Moderna met en œuvre dépasse largement la simple automatisation des tâches RH. Il s’agit de repenser la manière dont le travail circule, s’organise, se vit. Comment faire dialoguer, en temps réel, données et décisions ? Comment faire en sorte que l’IA devienne une alliée du quotidien, et non un outil périphérique réservé aux experts techniques ? En fusionnant RH et IT, Moderna n’oppose plus ces deux univers. Elle les articule dans une même logique de service, fluide, transversale, capable d’évoluer à la vitesse des enjeux.
Une telle initiative soulève, bien sûr, des questions. Peut-on réellement combiner des fonctions aux cultures aussi différentes sans créer de tensions ? Le modèle est-il transposable dans d’autres contextes, moins agiles ou plus réglementés ? L’organisation de Moderna, jeune, internationale, habituée aux cycles courts et à l’innovation de rupture, offre un terrain favorable. Mais ce qui est pertinent ici ne le sera pas partout.
Cela dit, ignorer cette évolution serait une erreur stratégique. Car elle pointe vers une tendance de fond : la redéfinition du rôle des RH. Longtemps cantonnées à l’opérationnel, elles sont appelées à devenir les architectes de l’organisation hybride. Non plus uniquement garantes de la culture ou du bien-être, mais co-conceptrices d’environnements de travail augmentés, intégrant outils digitaux, IA générative et nouvelles attentes collaboratives.
Ce que Moderna met en lumière, c’est une opportunité : celle pour les RH de reprendre la main sur la transformation. Non pas en devenant techniciennes ou ingénieures, mais en maîtrisant suffisamment les langages, les enjeux et les impacts du digital pour en faire un levier d’expérience, de performance et d’agilité.
Et cette fois, la bonne nouvelle, c’est que c’est une DRH qui prend le lead.
Source :
Wall Street Journal, “Why Moderna Merged Its Tech and HR Departments”, 12 mai 2025