À l’occasion de notre HR Think Tank sur l’engagement, DRH et responsables RH ont croisé leurs expériences et challengé leurs approches du sujet. Parmi les prises de parole marquantes : celle de Gérard Sinnes, CEO de VISTIM, qui a posé les bases d’une réflexion sans détour sur les vrais leviers de l’engagement.
Comment définiriez-vous aujourd’hui un collaborateur engagé, et en quoi cette définition a-t-elle évolué ces dernières années ?
La définition courte d’une personne engagée est une personne qui prend, volontairement, des responsabilités.
Cette prise de responsabilité ne se limite pas à l’exécution des tâches allouées. Il s’agit d’un vrai sens de la responsabilité qui s’étend à des situations ou problèmes qui ne sont pas forcément dans la description du poste de la personne. Une personne engagée s’attaque à la source d’un problème et non juste à sa correction, elle fait remonter des informations qu’elle juge importantes pour l’entreprise, elle propose des idées, de l’innovation et prend des initiatives… Un effectif engagé collabore, communique efficacement, met l’intérêt de l’entreprise devant l’intérêt individuel…
Il en résulte des aptitudes organisationnelles qui participent à la performance durable de l’entreprise.
Cette définition n’a pas changé dans le temps. Beaucoup de choses, d’ailleurs, ne changent pas fondamentalement avec le temps. Ce qui change, ce sont les moyens, les contextes…
Pourquoi, selon vous, l’engagement reste-t-il difficile à structurer durablement, malgré les nombreuses initiatives RH mises en place ?
Il y a plusieurs raisons à cela. La première est que la vraie valeur de l’engagement n’est pas reconnue au niveau stratégique des entreprises. Tout le monde voudrait bien un effectif hautement engagé, mais peu sont prêts à faire l’effort de comprendre la dynamique de l’engagement et de s’attaquer aux mesures nécessaires. On veut le résultat, demain, mais on ne veut rien faire pour l’obtenir.
Une autre raison est que l’engagement se construit sur le long terme. On ne l’obtient pas en quelques semaines. Peu ont cette patience, et nombreux sont donc ceux qui abandonnent parce que l’initiative lancée ne montre pas encore ses fruits. « C’est la faute des gens, pas celle des dirigeants » est l’excuse facile.
Sachant que 90 % des actions influençant l’engagement en entreprise relèvent du leadership et de la gestion des personnes, le manque de développement des compétences managériales apparaît comme une cause majeure. C’est avant tout la manière dont je suis encadré qui influence, positivement ou négativement, mon niveau d’engagement.
Finalement, pas mal d’initiatives RH ont été prises par mimétisme : on reproduit une initiative qui semble marcher ailleurs, et non pas parce que c’est l’initiative la plus pertinente dans le contexte de l’entreprise. L’engagement se construit dans la logique de la pyramide des besoins de Maslow. Tant qu’un niveau inférieur n’est pas durablement satisfait, un engagement au niveau supérieur n’est que de courte durée.
En d’autres termes, tant qu’il y a des pratiques managériales qui témoignent d’un manque de confiance, d’un excès de contrôle, de réprimandes en cas d’erreur, de non-respect de la personne – qui provoquent une insécurité psychologique –, on n’aura pas ou guère d’effet avec une communication transparente pour donner du sens au travail, ou encore avec des événements collectifs.
Quels sont, selon vous, les indicateurs les plus pertinents pour mesurer l’engagement ? Et comment mettre en place une démarche cohérente et continue sur ce sujet ?
Lorsque le niveau d’engagement général est élevé, cela se perçoit. Les échanges sont constructifs, les projets avancent, personne ne craint de faire des propositions ou d’émettre de nouvelles idées. Les solutions ne viennent plus seulement d’en haut, mais émergent au sein des équipes. L’effort discrétionnaire est à l’ordre du jour…
Pour le mesurer de manière plus tangible, le meilleur moyen est de faire une enquête d’engagement sur base annuelle. Ce type d’enquête couvre les principaux facteurs qui contribuent à l’engagement ou, au contraire, le bloquent.
L’enquête VISTIM, par exemple, explore six grands axes :
- Équité & reconnaissance
- Implication & confiance
- Bien-être & flexibilité
- Communication & information
- Développement & carrière
- Dévouement & promotion (comment je parle de mon entreprise à l’extérieur)
L’analyse en profondeur des données de ces enquêtes permet de clairement identifier les priorités d’actions. Nous avons identifié 7 étapes pour construire une culture et un contexte qui mènent à un niveau d’engagement élevé. Celles-ci sont :
- Faire de l’engagement une priorité stratégique -
- Comprendre son niveau d’engagement
- Aligner les concepts et règles internes à l’engagement
- Développer les compétences managériales
- Définir une gouvernance autour de l’engagement
- Reconnaissance de l’engagement
- Recommencer au début
Nous avons développé ces étapes dans notre article : 7 steps to high engagement.
Comment les managers peuvent-ils devenir de véritables leviers d’engagement au quotidien ? Et de quels soutiens ou formations ont-ils besoin ?
Les managers sont les leviers de l’engagement, pour le pire ou pour le meilleur. En même temps, cette lourde responsabilité leur est attribuée sans le soutien nécessaire. Gérer des personnes n’est pas une compétence que nous apprenons pendant nos études – elle s’apprend surtout avec l’expérience. Et en cela réside toute la complexité du défi : comment orienter et accélérer l’apprentissage par l’expérience ?
Le secret de la recette est d’adapter les efforts de développement à la nature de l’apprentissage. S’il nous faut du vécu (de l’expérience) pour apprendre, alors le plan de développement doit accompagner ce vécu étape par étape, de manière régulière et fréquente. Plutôt qu’une masterclass en people management de 5 jours, des sessions régulières, basées sur les défis que le manager est en train de vivre, auront un bien meilleur impact.
Mais au-delà du niveau de compétences managériales, c’est surtout la cohérence du style qui importe. Il faut donc définir quel type de management on souhaite dans une organisation. Comment veut-on réagir lorsqu’une erreur est commise ? Quelles sont les attentes en termes de compétences comportementales ? Que faire en cas de conflits ?...
Définir le style, faire connaître ce style à tous les intervenants (mentors, coachs, managers, formateurs…), et ensuite dérouler un plan d’accompagnement cohérent sont les étapes du succès.
Montrez-moi l’entreprise qui se donne comme priorité d’avoir les meilleurs managers, et je vous montrerai un gagnant !
Vous insistez sur l’importance de coconstruire l’engagement plutôt que de l’imposer. Quels dispositifs permettent réellement d’impliquer les collaborateurs dans cette dynamique ?
L’engagement ne peut s’imposer. L’engagement doit se mériter, comme la confiance, en créant les conditions requises et en étant à l’écoute des besoins.
Le premier dispositif est l’enquête – mais cela ne suffit évidemment pas en termes d’implication. Elle permet cependant de solidifier le socle de la pyramide, sans lequel le progrès restera impossible.
Le meilleur « dispositif » pour impliquer est la communication – dans les deux sens. Ce n’est pas plus complexe, en termes de dispositif, que cela.
Lorsque la base est solide – c’est-à-dire lorsque la méfiance n’est plus la perception primaire des employés, ni de la part de leurs chefs, ni en raison de règles internes absurdes ; lorsque un minimum de respect règne, et quand la reconnaissance est plus fréquente que les réprimandes –, alors on aura des sujets intéressants à coconstruire avec les collaborateurs. Par des groupes de travail, des projets dédiés, ou encore des ateliers à l’initiative des employés.