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Camille Georges (CFL) : Culture RH & IA: comment ne pas désapprendre à penser ?

Rédigé par Humakina | 20 nov. 2025
Pour Camille Georges, Responsable Pédagogique du Groupe CFL, la digitalisation de la formation dépasse la simple question technologique. Elle engage une réflexion de fond sur la culture, la responsabilité et les compétences humaines.

Forte d’un double Master en coaching et en philosophie, Camille conçoit la pédagogie comme un espace de transformation partagée entre innovation, sens et développement durable des talents.

Jusqu’où peut-on automatiser sans déshumaniser la fonction RH ?

On peut, selon moi, automatiser tout ce qui est répétitif, normé ou administratif, ainsi que le pré-traitement de l’information à condition que l’IA reste un support et non un substitut.

La recherche s'oriente de plus en plus vers cette hypothèse : une assistance excessive sans esprit critique de l’intelligence artificielle tend à diminuer l’implication cognitive des individus, à affaiblir leur capacité de mémorisation et d’apprentissage.

En confiant trop rapidement la réflexion à la machine, on induit une possible “dette cognitive”. Cette dépendance progressive à l’automatisation peut appauvrir les compétences intellectuelles et relationnelles indispensables à l’autonomie professionnelle, car moins sollicités, ces savoir-faire/être se fragilisent au fil du temps.

Par ailleurs, lorsque la machine prend en charge une part excessive des tâches analytiques ou décisionnelles, le sens lié à l’accomplissement du travail peut s’estomper. La perte de compréhension du but et de la valeur des missions réalisées risque ainsi de diminuer l’engagemenet la satisfaction au travail.

En RH, la limite est franchie dès que les décisions sensibles ou la relation au collaborateur reposent davantage sur des algorithmes que sur un jugement holistique.

L’enjeu n’est donc pas d’automatiser au maximum, mais de trouver un équilibre entre efficience et humanité : assez d’IA pour gagner du temps, mais suffisamment de réflexion, de sens et d’échange pour préserver la dimension humaine du travail.

Automatisation excessive des tâches analytiques et décisionnelles par l’IA → délestage cognitif (on pense moins) → délestage relationnel (on se parle moins) = déshumanisation de la fonction RH.

L’IA devient-elle un levier de productivité ou un outil de réinvention culturelle ?

Les deux. L’IA ne fait pas qu’accélérer les processus : elle déplace aussi nos valeurs pratiques, cognitives, éthiques et sociales.
Elle redéfinit ce que l’on valorise : de l’optimisation de l’exécution des tâches vers l’optimisation des processus de décision, de la mémoire vers de l’analyse et de l’évaluation, d’une rationalité utilitariste vers une éthique sociale et politique ; et des inégalités de compétences numériques vers de véritables politiques d’inclusion et d’acculturation au numérique.

Pour moi, l’IA est d’abord un levier de productivité, mais elle devient inévitablement un outil de réinvention culturelle — soit par défaut, en affaiblissant l’effort cognitif et la pensée critique, soit par choix, en renforçant une culture de la réflexion, de l’apprentissage et de la responsabilité.

L’enjeu n’est pas de choisir entre productivité et culture, mais de décider consciemment quel type de culture l’IA est autorisée à installer.

La vraie révolution de l’IA en RH, ce n’est pas la technologie, c’est la façon dont elle nous oblige à repenser notre culture, nos compétences humaines et nos responsabilités.
Camille Georges | Responsable Pédagogique

 Vos collaborateurs expriment-ils des inquiétudes face à l’IA ?

Oui et je les prends très au sérieux. Les principales craintes concernent l’emploi, le contrôle et la perte de compétences. Beaucoup se demandent : “Est-ce que l’IA va remplacer une partie de mon métier ?”, “Va-t-on s’en servir pour nous surveiller ?”, ou encore “Allons-nous désapprendre à réfléchir si on s’appuie trop dessus ?”

Pour y répondre, nous avons mené un sondage interne et construit des personas d’AI readiness au sein du CFL. Cela nous permet de segmenter les publics, d’adapter les messages, de prioriser les formations et de coordonner les actions RH et pédagogiques selon les besoins réels.

Mon rôle est d’accompagner la transformation des inquiétudes en leviers d’action : clarifier ce que l’IA va faire – et ne pas faire – chez nous, accompagner les usages et impliquer les collaborateurs dans la manière dont ces outils s’intègrent à leur quotidien.

Pouvez-vous nous parler du projet Skillbridge ?

Oui, c’est un dispositif que nous avons lancé en 2024 pour professionnaliser durablement la fonction de formateur.

À partir d’un diagnostic fin et d’entretiens (analyse SWOT, compétences techniques, pédagogiques, digitales et soft skills), chaque formateur co-construit une feuille de route de développement sur plusieurs années.

Chaque plan identifie quelques priorités clés, des actions concrètes (SMART) et des indicateurs de progression.

L’objectif est de relier les besoins spécifiques d’évolution des compétences des formateurs à la stratégie du Groupe CFL, en déployant pas à pas l’IA et les outils digitaux au cœur des pratiques pédagogiques.

En un mot : faire du formateur un acteur stratégique de la transformation culturelle, pas seulement technologique.